Justice
Photo Stéphane GARCIA
Par jugement du 6 mars 2023 rendu par le Tribunal Judiciaire de Bayonne, définitif depuis le 15 février 2024, l’Union des Journalistes de Sport en France (UJSF) a obtenu la sanction judiciaire de différentes atteintes à la liberté d’informer et d’accéder aux espaces presse et, de fait, une reconnaissance par un tribunal des droits fondamentaux des journalistes de sport et des syndics de l’UJSF dans l’exercice de leur profession.
Le tribunal a ainsi considéré que le refus par un club de rugby (en l’espèce, il s’agissait du Biarritz Olympique), d’accréditer le syndic de l’UJSF relevait « à l’évidence, d’une attitude discriminatoire à son encontre », dès lors notamment que le « « contact syndic club » compétent localement au premier chef pour accréditer ses confrères et leur permettre ainsi d’assister à un match dans la tribune de presse se voie lui-même refuser sa propre accréditation à assister à un match par le club ».
Le tribunal a également retenu que le refus d’accès à la tribune de presse d’un journaliste, de surcroit syndic de l’UJSF et d’un de ses collègues n’était pas légitime, « le journaliste en question étant précisément le syndic local de l’UJSF ».
De manière plus générale, le tribunal a confirmé que « la pratique discriminatoire dans l’accès des journalistes à la tribune qui leur est réservée, le refus de répondre aux questions de certains d’entre eux dans les conférences de presse, la non-organisation de séances d’entraînement ouvertes aux journalistes dans le cadre de la convention signée avec la Ligue, créent un préjudice à cet organisme [l’UJSF] qui a précisément pour objet de les représenter et de les protéger dans l’exercice de leur profession ».
Le tribunal a donc condamné le club à réparer ce préjudice – « qui ne se confond pas avec la réparation d’un préjudice individuel subi par chacun de ses membres » - en versant à l’UJSF la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le tribunal a également fait droit aux demandes de condamnations du club sous astreintes, lesquelles « ne font que veiller au respect par le club des conventions signées par la Ligue à laquelle il appartient et des directives de cette dernière. Toutes s’imposent à lui ».
Dans ces conditions, le tribunal a fait injonction au club :
« 1/ de cesser tout nouveau refus d’accès injustifié des journalistes et du syndic de l’UJSF aux zones médias du stade Aguilera (tribune de presse, conférence de presse, zone mixte) lors d’une journée de championnat organisée par la LNR à laquelle le BOPB participe, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée ;
2/ d’organiser au moins une séance d’entraînement de son équipe qui devra être un entraînement « rugby » à laquelle les journalistes pourront assister chaque semaine précédant une journée de championnat organisée par la LNR sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée ;
3/ interdire tout boycott des journalistes, consistant en un refus des joueurs ou d’un membre de l’encadrement technique, de répondre aux questions posées par les journalistes, lors du point presse, de la conférence de presse ou toute autre mise en relation, organisée au cours des 72 heures précédant chaque rencontre de championnat organisée par la LNR à laquelle le BOPB participe, ou, en cas de match à l’extérieur, au cours des 72 heures précédant le départ du BOPB en déplacement, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée ».
Cette décision, définitive, est majeure pour les journalistes de sport et les syndics de l’UJSF car elle fait jurisprudence concernant toutes entraves d’accès à un journaliste professionnel et à un syndic de l’UJSF aux espaces presse d’un stade et à l’exercice de leur profession.
Maître Céline Cohen, associée du cabinet LDEIS Avocats, avocate de l’UJSF qui nous a assistés dans ce contentieux, nous fait part de sa position sur la portée à donner à cette décision judiciaire définitive :
Que représente cette décision de justice pour les journalistes de sport ?
Cette décision est très importante à plusieurs niveaux :
1/ Tout d’abord, elle rappelle que les journalistes de sport en France doivent pouvoir exercer leur profession sans entrave, de manière pleine et entière. Elle réaffirme, avec force, la liberté des journalistes de sport d’accéder aux zones médias des stades français (tribune de presse, conférence de presse, zone mixte) ainsi qu’aux séances d’entrainement. Elle condamne également fermement tout boycott aux questions des journalistes de sport.
Cette décision est prise dans le droit fil de l’article L. 333-6 du Code du sport consacrant la liberté d’accès des journalistes aux enceintes sportives ainsi que de la convention conclue entre l’UJSF et la LNR, réglementant les conditions de travail des journalistes lors de l’ensemble des rencontres organisées par la LNR (TOP 14 et PRO D2, en ce compris les matchs amicaux).
2/ ensuite, cette décision assoit de manière très claire le rôle incontournable de l’UJSF, qui a pour objet de représenter et de protéger les journalistes de sport dans l’exercice de leur profession ainsi que de leur délivrer les accréditations pour l’accès aux enceintes sportives. Elle interdit ainsi tout refus d’accès injustifié des syndics de l’UJSF aux zones médias.
Cette décision vient renforcer la convention d’objectifs conclue entre l’UJSF et le Ministère des sports, reconnaissant la mission d'intérêt général de l'UJSF visant à faire respecter, notamment par les instances sportives (fédérations et ligues), les droits essentiels à l’accomplissement de la mission des journalistes regroupant l'ensemble des médias (presse écrite, radio, nouveaux médias, photographes…) lorsqu'ils couvrent une manifestation ou une compétition sportive.
Peut-elle faire jurisprudence et s’appliquer pour les autres disciplines, autres que le rugby ?
Cette décision pourrait tout à fait être invoquée concernant d’autres disciplines que le rugby, en particulier concernant les disciplines pour lesquelles l’UJSF a conclu une convention avec les instances sportives, que ce soit le football (FFF d’une part et LFP d’autre part) ou encore le basket et le handball.
Peut-elle directement être opposée aux clubs, Ligues ou Fédérations ?
En application de l’article 1355 du Code civil, l’autorité de la chose jugée d’une décision de justice civile n’est que relative, c’est-à-dire qu’en principe, elle ne produit d’effets et n’a d’autorité qu’à l’égard des parties au procès.
Il n’en demeure pas moins qu’une telle décision, aujourd’hui définitive, en tant que source du droit, est opposable indirectement aux instances sportives.
Céline COHEN
Avocat associée
Cabinet LDEIS Avocats Selarl
11 bis rue Scribe 75009 Paris